Tous les gens de son public sont aussi de sa famille
Crédit photo : Léo Delafontaine
Editor : Hanadi Mostefa
“Tous les gens de mon public sont aussi de ma famille”, chante Youssoupha dans Polaroïd Experience, titre de son album éponyme sorti il y a quelques mois. Nous avons voulu rassembler cette famille, constituée parfois d’anonymes mais aussi d’artistes qui entourent le lyriciste pour qu’elle nous parle de celui qui, au fil des années, s’est immiscé dans la vie des Français. Cela fait maintenant plus de 10 ans que Youssoupha est entré dans nos maisons avec ses albums en guise de trousseau de clefs. Il n’a jamais eu besoin de forcer la porte, ses paroles glissant dans nos serrures sans accrocs. Il s’est installé là, dans nos salons, nos chambres avec nos pères, nos mères, nos amis, nos enfants. On lui a aussi demandé de nous parler de sa famille d’artistes à lui, des gens qu’il a croisés parfois musicalement, parfois humainement.
Parce que tous les titres de Youssoupha sont aussi de notre famille. Hommage au père de cette grande famille.
Médine
35 ans, Le Havre
On s'est croisé dans des milliers de studios, des milliers de concerts. Il est venu plusieurs fois au Havre, ma ville d'origine. Les meilleurs moments avec lui ce sont ceux que l'on passe en studio. Quand le studio commence à se vider, il ne reste plus grand-monde et on commence à se conter des anecdotes qui sont liées à la musique, à nos parcours respectifs. Il est très tard en général, le corps ne suit plus, l'esprit vagabonde un petit peu, on est comme sous l'effet d'un alcool. Ce sont ces moments là les meilleurs.
Le plus beau compliment que Youss m'a fait c'est lorsqu'un jour il m'a parlé de ma capacité d'adaptation. "Les dinosaures ont disparu et toi t'es un genre de cafard qui existe toujours, qui existait déjà à l'époque et qui sait et a su se faufiler. Le cafard Médine".
Lola
19 ans
C'est à Youssoupha que je dois ma découverte du rap français. C'est lui qui m'a donné envie d'écouter Kery James, IAM... Je n'écoutais que du rap US jusqu'à un soir de 2009, où lors d'une soirée le frère d'une de mes amies a lancé "L'effet papillon" dans la playlist. Dans ce titre Youss dit ceci : "On se connait même pas et t'es posé chez toi et regarde comme tu bouges la tête". J'avais 12 ans et Youss m'avait eu, je bougeais la tête inconsciemment. C'était il y a presque 10 ans et aujourd'hui c'est son nouvel album et ceux de tous les autres que je mets à mon tour en soirée. Il a été mon guide, le mec qui vous conseille un bon livre dans une bibliothèque... celle du rap français.
Jules
23 ans
Youss fait de la musique qui touche à toutes les émotions. Il est facile de trouver un titre qui va correspondre à un moment de votre vie. Pour moi c'est "Mourir mille fois", sur le précédent album. Je suis ressorti de ce son j'avais l'impression d'avoir assisté à une pièce de théâtre d'une heure et demi qui m'avait mis une grosse claque. J'étais pas très bien, parce que je vivais au même moment la possible perte d'un être cher, ce dont parle le titre. Mais avec Youss il y a toujours un parfait timing pour "bader", une musique qui va vous accompagner introspectivement dans un moment de votre vie, qu'il soit joyeux ou triste. Il est un peu comme une valise que l'on aurait à la main dans ce grand voyage qu'on appelle la vie.
Axelle
26 ans
L'écriture de Youssoupha elle est engagée mais pas seulement, elle vous fait vous engager sur des causes que l'on ne connaît pas forcément. Il rend certains sujets héroïques et ça vous pousse à vous y intéresser. L'Afrique, le Congo... Personnellement je ne savais pas ce qui se passait en RDC et c'est l'émotion qui transparaît dans son engagement qui fait que je m'y suis intéressée. C'est la même chose pour son combat pour Adama Traoré, ou même juste les petites choses du quotidien, les attitudes. La force de ses paroles c'est ce qui fait que vous ne pouvez pas "simplement" écouter Youssoupha. Ses mots vous poussent à entamer des recherches, faire de vous quelqu'un de plus conscient des choses qui se passent autour de vous. Elles vous ancrent dans le monde d'aujourd'hui, elles sont votre billet d'avion vers d'autres pays.
Tatiana
25 ans
Une poésie. C'est ainsi que je qualifierais la musique de Youss. Ses titres sont des poèmes, des vers remplis de sens que les gens peuvent se réapproprier. Si vous demandez aux personnes présentes aujourd'hui s'il existe une chanson de Youssoupha qui correspond à un moment de leur vie personnelle, à une situation vécue, ils vous répondront forcément “oui”. Chacun a trouvé son poème, son ode, son recueil. Il est aussi en faveur du panafricanisme, c'est un mouvement dans lequel je me retrouve. Avec Youss on aime le rappeur, l'écrivain mais aussi l'Homme et ses idées.
Lydia, Tiofilo, Sam
33 ans, 25 ans, 4 ans
Une plume humble et humaine. Voilà ce que possède Youssoupha de différent. Il ne fait pas que raconter son vécu et sa vie, sa plume n'est pas égoïste, il écrit pour que chacun se retrouve dans ses textes. Même un simple enfant dans certains morceaux. C’est une véritable force qui lui permet de toucher des générations différentes, parce qu'il donne. Entièrement. À nous, à vous, à eux. Regardez nous, trois âges bien différents et pourtant toute notre famille l'écoute. Youss est fort d'un rap qui n'a pas d'âge, qui ne peut pas se démoder. Son rap n'est pas à la mode, il est intemporel, intergénérationnel. Il n'est pas une tendance, il est le calque de nos vies. Et ce n’est pas une tendance de vivre.
Andy Henry
23 ans
Il y a toujours un moment dans sa vie où on fait une sorte de bilan. On regarde ce qu'on a fait, ce qu'on est en train de faire et ce qu'on voudrait faire plus tard. Youssoupha il nous fait nous balader sur la timeline. En écoutant ses chansons, on marque une pause. On regarde l'avant, l'après et le pendant de notre vie. Sa musique est une sorte de voyage à l'intérieur du "soi-même". Il est ce penseur, ce sage avec qui vous voudriez vous asseoir, celui qui vous proposerait un grand voyage juste en fermant les yeux et en écoutant. Celui avec qui on voudrait faire le bilan, calmement.
Guilaine
29 ans
Youss a ce côté très patriarche mais aussi très pote. C'est quelqu'un avec qui tu peux parler de tout et de rien très vite et très facilement, tu te sens immédiatement à l'aise. Plusieurs fois j’ai eu l'impression de ne pas être juste son attachée de presse, d'avoir des conversations avec quelqu'un que j'avais l’impression d’avoir toujours connu. Youss arrive à construire un lien, une zone de confort, de paroles, très rapidement. S'installent alors une confiance, des échanges sur des choses qui touchent parfois à l'intime. Les barrières, les frontières tombent.
Assa Traoré
32 ans
Un jour un ami m'envoie une photo de mon frère, alors encore très jeune, à la sortie d'un concert de Youssoupha. Il venait de la retrouver dans son téléphone. Je n'en revenais pas, mon frère avait rencontré celui qui aujourd'hui se bat pour lui. Ce n'est donc pas un hasard si Youssoupha s'est retrouvé sur ma route dans mon combat pour la vérité. Quand j'ai envoyé le cliché à Youssoupha il était très ému. Adama et Youss s'étaient rencontrés une fois, et la vie faisait qu'ils se rencontraient à nouveau, pour d’autres raisons. Beaucoup d'artistes me suivent et m'aident dans mon combat, mais si je devais donner le nom de frère à un seul d'entre eux, je le confierais à Youssoupha. Les yeux fermés. Sans aucun doute.
Youssoupha
39 ans
Sur Teri Moise :
Je ne l'ai jamais rencontrée, j'étais juste un amateur, un fan de ce qu'elle faisait. J'étais encore adolescent quand elle a eu son succès en France, un succès retentissant, commercial mais aussi critique parce que ses chansons étaient vraiment de qualité. Je la trouvais belle, charismatique et c'est bien de voir une femme noire charismatique et talentueuse. Surtout à cette époque-là, c'était fascinant. Elle a touché à la lumière avec beaucoup de mystère et j'ai l'impression qu'elle a disparu avec autant de mystère. C'est une artiste à la fois sensible et grave, touchante et dure. Surtout je retiens son talent, son charisme et sa beauté. Je n'ai pas de featuring dans mon album mais j'aime l'idée qu'on ait une collaboration un peu imaginaire et imagée sur le titre "Les sentiments à l'envers".
Sur Tito Prince :
Je me suis beaucoup inspiré d'artistes de mon enfance, je parle souvent de Mc Solaar, Kery James... mais ça peut aussi m'arriver d'être inspiré par des plus jeunes et Tito Prince en fait partie. On peut être inspiré par quelqu'un qui vous succède, pas toujours par ceux qui vous précèdent. J'aime aussi ses valeurs chrétiennes, qui ne sont pas répandues finalement dans le rap français. On connaît les valeurs musulmanes, les valeurs du quartier, les valeurs de la famille... mais pas les siennes et comme lui il les amène. Avec son intelligence à lui, ce n'est pas quelque chose de répandu. Il est décomplexé dans ça, reste toujours juste, bon. On ne fait peut-être pas le même rap dans le fond ou dans la forme, mais dans l'esprit j'essaie de l'imiter parfois. Parce que je le trouve bon et touchant.
Sur Diam’s :
Honnêtement je n'ai pas énormément d'amis, de gens dont je me suis senti proche, qui m'ont aidé, tiré vers le haut. Ma première exposition, ma première signature en maison de disque je la lui dois. Moi elle ne m'a donné que des coups de main et sans contrepartie. C'était une fille qui aimait mon talent d'écriture, elle avait voulu me signer à l'époque et je n'étais pas encore dans ce projet alors j'avais préféré décliner même si j'avais beaucoup d'affection pour elle. Et ça n'a pas changé le coup de main et la force qu'elle a mis à m'aider partout où j'allais. Il y a même des choix, dont je sais qu'ils étaient mauvais aujourd'hui avec le recul, dont elle m'avait conseillé le contraire. Mais j'ai voulu faire à ma manière, elle a respecté ma démarche mais avec les années je vois qu'elle avait raison sur deux-trois trucs très importants. Sur mon rapport avec les gens, sur des choix de chansons, des choix de communication. Diam’s est pour moi une artiste immense qui manque au paysage féminin du rap français notamment. Nous ne sommes plus en contact car elle a pris du recul dans sa vie, mais j'espère juste qu'elle va bien. Je lui souhaite tout le bien parce qu'elle m'en a souhaité beaucoup.
Sur KeBlack et Naza :
Ils sont les mecs qui m’ont permis de boucler la boucle. J’étais très content de mon succès en tant qu’artiste, de ma couleur musicale… Par contre je ne vais pas mentir, j’avais des ambitions que j’avais envie d’assouvir en tant que producteur, prescripteur et/ou ambassadeur culturel, notamment pour la culture congolaise. J’avais envie de produire ces deux gars là avec leur fraîcheur et une musique qui ne ressemble pas du tout à la mienne, et c’est ça que j’aime chez eux. Peut-être parce que dans leur musique je reconnais ce qui manque à la mienne. Alors je prends du plaisir à avoir exposé ces deux bonhommes là, même si le mérite leur revient d’abord parce qu’ils ont énormément de talent. On les voit partout, on les écoute partout, on en parle partout. Ils me prennent pour un grand-frère avec beaucoup d’amour et de bienveillance. Dans leur approche musicale ils m’ont également appris à me remettre en cause, j’étais dans des logiciels qui commencent à être datés. Les côtoyer ça m’a permis de me remettre à jour un peu… Même si ma musique n’est toujours pas la leur et vice versa, et tant mieux d’ailleurs, dans mon approche de la musique ils m’ont rafraîchi. Et humainement aussi. Je les ai emmenés à Kinshasa en concert, c’était la première fois pour eux ils n’avaient jamais vu ce pays dont ils représentent fièrement les rythmes et les mélodies. Il y a derrière ça également une histoire de famille qui me touche beaucoup. On me les a confiés pour les emmener haut. Ce sont mes petits frères, ils m’ont aidé à me finir en tant qu’artiste, vraiment. Mon épanouissement il est total à travers le succès de ces deux gars là. Quand BeBlack a été certifié avec son titre “Bazardée” ça m’a presque plus ému que mes premières certifications à moi. Et c’est ce jour là que j’ai réalisé que c’était quelque chose qui comptait pour moi.
Sur Youssoupha :
Si je pouvais parler à ce garçon à cet âge, premièrement je lui dirais laisse toi pousser les cheveux (rires). Crois en toi ils pousseront. Ce garçon c’est un académicien, il a une haute estime du rap français et de ses héros. Il a envie d’en être même s’il considère que jamais il ne sera à la hauteur de ces héros, que ce soit IAM, Akhenaton, Kery James ou MC Solaar… Il aime profondément et viscéralement le rap français, il serait prêt à faire beaucoup de sacrifices pour ça. Sacrifier ses études, sa vie de famille, son équilibre financier… Parce que voilà c’est son rêve secret de faire des disques qui deviendront des disques majeurs. De faire des hits, des chansons qui seront considérées comme des classiques. Il en rêve, il y croit à moitié. Il y croit quand il dort mais quand il est éveillé il a un peu peur… Et donc du coup je ne sais pas quand est-ce qu’il recevra mon message (rires) mais il faut le rassurer, lui dire : “eh frère tu peux y arriver, moi j’ai des indices comme quoi tu y es arrivé un peu. Et que tu arriveras à un stade de ta vie où tu pourras juste kiffer et moins te mettre la pression”. Parce que là à cet âge là, il se met beaucoup la pression. Visiblement pas beaucoup la pression sur le style vestimentaire mais je vois que dedans, en lui, il y a de la peur. Mais attention, il y a de la peur mais aussi une envie de bien faire. Et quand on a un bon karma, c’est ce que je pense du bonhomme, ce qui vient du coeur va au coeur. Et si ça a l’air loin comme ça, le karma finira par lui répondre.
Hommage à Youssoupha
“Tous les gens de mon public sont aussi de ma famille”
“Tous les gens de mon public sont aussi de ma famille”