L’Abécédaire d’Oxmo Puccino
Pour son nouvel album "La nuit du réveil",
le poète Oxmo s’est prêté à un exercice de mots.
Avec sa multitude de courants et d’interprètes, le rap peut être clivant et rares sont ceux à faire l’unanimité auprès des critiques et du public. Oxmo Puccino est de ces oiseaux rares. Depuis 20 ans qu’il survole le rap game et ses vents contraires, il a gardé le cap d’un style conscient et poétique qui, s’il n’est plus en tête des charts, force toujours le respect. Parce qu’il aime les mots, dont il est un fervent défenseur, HYPEBEAST FRANCE a voulu laisser à Ox le choix des siens à l'occasion de la sortie de son nouvel album La nuit du réveil. En ressort un Abécédaire où l’évocation du projet se révèle à son image, tout en nuances et subtilités. Relations humaines, réseaux sociaux, créativité, Paris et évidemment musique… Le choix des termes et des thèmes fait écho à son opus. De quoi faire de l'exercice l’expression du "décalage" qu’il chante au refrain de À ton âge, jusqu’à laisser l’impression d’un regard désenchanté sur le monde. "Né trop vieux" Oxmo Puccino, pour reprendre encore les lyrics du même titre ? Gardez-vous bien de le voir en réac' dépassé. Sa voix résonne plutôt comme celle de la raison, qui mettrait en garde et conseillerait, pour peu qu'on y prête l'oreille. Il le demandait, on lui a tendu, "le pistolet à fleurs pour tuer le temps".
bdoulaye. Mon nom civil. Il est très usité au Mali. Le prénom a une signification, comme c’est le cas dans certaines cultures. Je crois beaucoup à la correspondance des noms et des personnalités. Par exemple les Vincent sont souvent particuliers, avec un grand coeur mais du caractère. Les Abdoulaye, il paraît qu’ils sont calmes, et la plupart que je connais sont en effet calmes. C’est un bon gage que d’appeler son fils comme ça. Ça peut lui servir. Parce qu’aujourd’hui, donner un prénom a une portée sociale, politique. J’ai plein de potes qui donnent des prénoms politiques à leurs enfants. Des prénoms qui ne posent pas de problèmes, qui ne font pas poser de questions.
A
ore. Mon nom de taggueur. C’est ma première carrière. Avant j’étais dans le graff jusqu’au cou, je dessinais énormément. C’était une époque où il n’y avait pas d’ordi, rien. Les affiches, les tracts, tout se faisait à la main par les graffeurs et les dessinateurs. J’en ai fait beaucoup, j’ai taggué dans le métro - bon, je me suis fait arrêter très vite -, j’ai fait des graffs, et j’ai gardé ce pseudo jusqu’à Oxmo. Ça me fait penser que le graff a connu une expansion parce qu’on tagguait les trains, avec l’idée qu’ils voyageaient, et seraient vus par tout le monde. Tout le monde est fasciné par les trains. Avant les murs on peignait les trains. Avec l’idée de voyage, d’évasion, de l’oeuvre éphémère qui s’en va, toujours en mouvement.
B
réativité. Je n’y crois pas vraiment, en fait. Je crois au travail. À la connexion avec les messages de la conscience universelle. On est tous liés, qu’on le veuille ou non, d’une manière ou d’une autre, et c’était le cas avant même les réseaux sociaux. C’est ce qui fait qu’une idée peut devenir fondamentale et populaire très rapidement. L’artiste, le créatif, est celui qui travaille, parvient à capter ce message et à le traduire. Pour moi l’artiste est juste quelqu’un qui travaille passionnément, suit sa sensibilité et la traduit grâce à ce qu’il capte de ce monde. C’est un mélange d’audace, de foi, de travail et de sensibilité. Dès qu’on réunit tout ça et qu’on se consacre à sa tâche, ça ressemble à la création parce que c’est quelque chose qui sort de vous. Mais pour moi ce n’est que la traduction. La créativité est un résultat, finalement. C’est pour ça que je n’y crois pas vraiment. D’ailleurs, quand tu regardes la plupart de ceux qui ont marqué le monde par leur créativité, ce sont des gens qui travaillaient de manière ininterrompue, toute leur vie, par leur passion ou quelque chose qui les dépasse. Je crois beaucoup à ce concept de mission, au fait qu’on soit là pour une raison. Et avec un peu de chance, on peut trouver cette raison.
C
anube. Le quartier qui m’a fait. J’y ai vécu de 5 à 23 ans, jusqu'à l’album. Alors c’est un quartier qui a beaucoup évolué, mais qui a gardé ses fondamentaux. À savoir cette particularité sociale qui est un mélange de vieille France d’après-guerre et des couches d’immigration successives qu’a connues le pays. Tout ça réuni dans une espèce de pré-banlieue, avec des statistiques sociales très difficiles. Je parlais à un adjoint au maire la semaine passée, qui me disait qu’il y avait 40% de familles mono-parentales. Lorsqu’on entend parler de ces chiffres tristes, on peut comprendre pourquoi. Ça fait un moment que c’est comme ça, et ça n’a fait qu’empirer. Mais malgré tout, il y a là une énergie qu’on peut porter partout dans le monde. J’aime le répéter : où que vous ailliez dans le monde, vous rencontrerez toujours quelqu’un du 19e. C’est un autre univers. J’ai grandi, je me suis construit là-bas. C’était vraiment à part : 19e, il y a les quartiers comme Crimée, Riquet, Ourcq, la Banane, Belleville/Rebeval, des endroits particuliers où dès qu’on traverse la rue, on est ailleurs, avec des gens d’ailleurs. C’est à huis clos, c’est fermé, fermé par une énergie mentale qui fait que dès qu’on traverse la rue on est ailleurs. Tout de suite. J’ai grandi là-dedans. Danube, c’est aussi la station de métro d’une toute petite ligne de Paris. Dès qu’on arrive sur la 7 bis, c’est calme, désert. Et Danube c’est d’autant plus spécial que c’est l’endroit où la ligne ne va que dans un sens…
D
spoir. Je ne suis pas quelqu’un qui a beaucoup d’espoir. Comment tu le définis ? Il faut partir d’une définition. Attente positive. Voilà. Alors je n’ai pas beaucoup d’espoir parce que je m’en tiens aux faits. Je suis assez cartésien, pragmatique. Bien que je puisse rêver, je fais la part des choses. Aujourd’hui, on est d’accord que l’espoir est lié au désir. Et aujourd’hui on a un gros problème de désir. Les gens confondent leur désir avec celui des autres beaucoup plus facilement qu’auparavant. Aujourd’hui, on s’identifie à tout, et c’est le meilleur moyen de se perdre. Et si on mélange l’espoir de se retrouver à travers quelqu’un d’autre - ce qui est de plus en plus fréquent -, la montée de l’égocentrisme et le fait que le concept d’attendre n’existe plus, eh bien on est sur le chemin le plus court pour la tragédie. La tragédie immédiate en fait. L’espoir aujourd’hui pour moi, c’est ça : se tromper de désir. L’espoir c’est se tromper de désir, le visualiser à travers un smartphone, s’y identifier, et prendre le risque de se perdre à tout jamais dans une fausse lumière. Il n’y a rien de plus individuel que les réseaux aujourd’hui. Quand tu ouvres un compte, c’est ton compte à toi, ce que tu mets en scène c’est toi, ou une vision que tu veux donner de toi, on n’est même plus dans le dialogue, on est dans le monologue, à travers les commentaires ou le micro-blogging. On est juste dans une démonstration de soi qui est erronée. Moi je suis dans l’analyse, j’adore lire, marcher dans la rue, observer les gens. C’est un peu compliqué, mais j’arrive encore à le faire. Et le truc, c’est qu’on se met en scène, on se met en valeur, mais on n’a aucune notion de ce qu’on fait. Les gens ne savent pas ce qu’ils écrivent, ils ne pensent pas avant d’écrire, ce sont des pulsions, des impulsions. Ça profite aux gestionnaires des Datas, parce qu’on n’est jamais plus à nu que sur les réseaux, on y est plus à nu que devant n’importe quel intime. Et ça va faire naître de nouveaux mots, des nouvelles relations humaines, peut-être même modifier notre comportement. Aujourd’hui, même le vocabulaire est tronqué. C’est pour ça que je voulais la définition du mot espoir. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde qui n’a plus d’espoir, et qui ne le réalise pas. Concrètement. Va voir un jeune aujourd’hui, demande lui : qu’est-ce que tu espères ? La réponse en dira long, plus long sur la société en général, que pour lui-même. S’il y a une réponse. Combien de jeunes ne savent pas ce qu’ils vont faire de leur vie ? L’autre jour, je rentrais de promo, je devais aller voir un pote en banlieue, mais j'étais fatigué. Ma fille me dit "bah reste à la maison, t’enverras des messages". Je lui ai répondu : "Ce n’est pas comme ça qu’on se connecte au monde". Si tu ne vas pas chercher le monde, discuter, échanger l’info en réel… On ne peut pas comparer. Je me déplace toujours. J’en reviens à l’action. Aujourd’hui, le degré d’exigence générale dépasse tout le monde. Aujourd’hui, tu te lances dans n’importe quel domaine, tu vas taper ton activité sur Google, poterie, peinture ou quoi, et on va te renvoyer sur Picasso. Donc ta référence de départ, c’est ça. Tu vas regarder là-haut et te dire "je veux être ça". Mais à travers cette recherche, il n'y a aucune information sur le parcours de ces gens là, sur le pourquoi ta référence est arrivée au sommet. Donc d’un côté l’accès à l’info donne un certain niveau, l’idée du niveau moyen, et on peut acquérir du niveau assez vite. Mais il faut se trouver avant. On a peur de passer à l’acte. Et cette frustration va se déverser sur ceux qui ont eu le courage d’agir, à travers les commentaires, les critiques, les avis… Il y a un phénomène qui m’a égaré, c’est qu’aujourd’hui il y a des bloggers, des chroniqueurs, qui sont souvent plus populaires que les artistes. C’est complètement fou, quelque part. Donc celui qui a le talent mais pas le courage ne passera jamais à l’acte. Le talent il y en a partout, c’est une promesse, un espoir, tiens. Mais qu’est-ce qui fait que le talent se révèle ? L’action. Ce qu’il laisse comme trace. On est dans un monde sans espoir. Parce qu’on n’a pas le temps. On a perdu la patience. Si c’est pas tout de suite, c’est jamais. Il n’y a plus d’entre-deux aujourd’hui, donc pas d’espoir. Tout de suite ou jamais. La course n’est pas de fournir ce que tu veux, mais de fournir avant que tu ne le veuilles. Apple est arrivé avec un truc dont on n’avait pas besoin, et a réussi à le mettre dans les mains de tout le monde. On n’avait pas le temps d’avoir ce besoin. On l’a quand même, il nous prend encore plus de temps, et on ne le vit plus. Ça va tellement loin que ça a touché les rapports humains. Aujourd’hui pour baiser, tu sors quelques messages, si tu remplis la charte physique et financière, qui correspond au good guy, tu vas niquer. Tu vas niquer tout de suite. Et après tu recommences (rires). Parce que c’est une drogue, un shoot. Les messages privés en sont aussi, des shoots. On en revient à niquer pour passer le temps. Ce qui était un symbole de l’amour consommé est devenu un passe-temps. C’est extrêmement grave. Comment va-t-on redessiner le chemin de l’amour aujourd’hui ? À la base, tu rencontres quelqu’un, il y a un truc qui passe, par hasard. Vous discutez, vous discutez, passez un peu de temps ensemble. Tout d’un coup vous vous rendez compte que vous vous aimez bien. Vous allez niquer. Vous allez niquer plus, vous installer ensemble, le truc normal un peu. Aujourd’hui il n’y a plus de ça. Ou beaucoup plus tard, trop tard. Et puis si tu compares en termes de génération, l’âge où on fait des enfants depuis une cinquantaine d’années… ça vient en dernier lieu tout ça désormais. La patience, c’est grave. Comment tu veux profiter ? Comment tu veux apprécier quelque chose si tu ne l’as pas attendu ? Des enfants gâtés pourris. On sait comment ça finit, les enfants gâtés pourris. On le sait très bien, avant c’était des cas à part, tellement des cas et tellement à part qu’ils étaient des sujets de discussion. Parce qu’on avait le temps d’éduquer nos enfants. Aujourd’hui on est tous des enfants gâtés pourris. On est tous gagas de nos enfants, plus que nos parents l’étaient, et ça va être de pire en pire. On va faire avec, mais ça ne va pas être drôle.
E
"L’espoir aujourd’hui, c’est se tromper de désir. Le visualiser à travers un smartphone, s’y identifier, et prendre le risque de se perdre à tout jamais dans une fausse lumière."
emme. C’est un sujet risqué les femmes. Je commence par le dire, c’est risqué. Mais j’ai le courage de parler des femmes. J’ai le courage parce qu’aujourd’hui l’homme a peur des femmes - est-ce que je ne viens pas d’hésiter à en parler ? Je trouve qu’il faut dire que les hommes ont peur des femmes. Parce que dans tout ce qu’il s’est passé récemment, à cause de quelques-uns on a jeté l’opprobre sur tout le monde, et ça a mis tous les hommes en panique. Aux US, on entend parfois parler de personnes qui vont signer un contrat avant d’aller manger ensemble. Je ne sais pas si on se rend compte de la gravité contractuelle de cet événement. En arriver là quoi… Je voulais rappeler qu’il y a des hommes bien aussi. J’ai parlé avec un homme l’autre jour, qui avait un discours féministe offensif et qui me parlait des mauvais hommes, de ceux qui ne remplissaient pas leur tâche. Moi je lui ai dit : "je comprends ce que tu dis, mais moi je ne suis pas comme ça, autour de moi la plupart ne sont pas comme ça, donc je voudrais savoir de qui tu me parles. Soit tu es très mal entouré, soit on évolue pas dans le même monde". Je suis artiste, je suis entouré d’artistes qui ont souvent arrêté de travailler, refusé des contrats pour s’occuper de leurs enfants, malgré la difficulté que c’est. Ce sont des choses devenues courantes. Un guitariste, un producteur qui dit "c’est chaud, j’ai les enfants, faut que je m’en occupe ma femme est partie au bureau". Pourquoi on ne parle jamais de ça ? Évoquer aussi ce côté peut permettre d’avoir un discours plus équilibré dans les relations homme/femme aujourd’hui, qui sont en train de se compliquer, et d’un autre côté se simplifier vers quelque chose de tellement lisse… On ne construit rien dans l’éphémère. Je parlais à un ancien l’autre jour, qui me disait qu’aujourd’hui tout le monde se sépare, "ils sont pas contents, ils s’embrouillent, ils se séparent". Mais la famille à la base c’est pas ça. Ce n’est pas un roman photo. À partir du moment où on fait des enfants, on n’a plus la même place, on n’est plus un couple, on ne peut pas agir comme deux ados qui viennent de se rencontrer, sinon ça part en couilles, c’est logique. Il y a des prises de conscience vis-à-vis de l’amour qu’on devrait avoir, qui sont devant nous, et sont les raisons de notre grand malheur, de notre frustration. Les femmes ont leur part de responsabilité là-dedans, parce que ce sont elles qui parlent. Les hommes ne parlent pas. Je le dis haut et fort, les hommes ne parlent pas. On sait ce que désire une femme, mais un homme, on ne sait pas. On ne sait pas ce que pense un homme. On ne lui a jamais demandé, on sait ce qui serait bien de sa part, on sait ce qu’il faudrait modifier chez lui pour qu’il soit un homme meilleur, mais on ne lui a jamais demandé : "au fait, qu’est-ce que t’en penses?" Les magazines masculins, ça date de quand ? Ces dernières années… À l’époque, c’étaient les mags avec des nus, des voitures. Donc nous, c’est ça ? Du cul et des voitures ? Faites évoluer un homme sensé dans un monde comme ça, il va avoir du mal à se construire. Dans les contes, les histoires, l’homme c’est le chevalier, le prince charmant, sinon il ne vaut pas le coup. Pendant longtemps il faisait quoi l’homme ? Il devait nourrir la famille, aller à la guerre. C’est pour ça que dès qu’il y avait une famille, un fils partait à l’église, l’autre à l’armée. Il n'y avait pas d’autre choix… "Ferme ta gueule. Fais ta famille, et la femme ferme sa gueule. C’est toi le chef, fils de pute. ‘Ouais mais moi je veux faire de la poterie, des arts, des meubles…’ non, ta gueule fils de pute. T’es un fils de pute, tu vas travailler comme un fils de pute, tu vas nourrir ta famille fils de pute, et si y’a une guerre tu viens, tu vas crever pour nous". C’est écrit. Pendant des siècles et des siècles. Donc les femmes aidez-nous, aidez-nous pour ce monde meilleur. Demandez-nous ce qu’on pense, discutons, échangeons. Mais en vérité c’est impossible. Trop de bagages, d’antécédents, de problèmes à régler, de décalage. De généralités. Des raccourcis, de la paresse… Il y a des discussions qu’on ne veut pas, des vérités qu’on ne veut pas savoir. J’en ai dans la poche, il y a de l’argument, mais tranquille. Juste, discutons. Faudra bien commencer un jour. On est en 2020. C’est critique aujourd’hui. Si on ne discute pas maintenant, on va vers une séparation définitive des genres. L’homme n’est pas un monstre. C’est ce que j’essaie d’enseigner à ma fille : "l’homme n’est pas un monstre, regarde papa". Et je pense que vu l’importance d’une relation sentimentale dans la vie d’un homme ou d’une femme, on devrait apprendre à nos enfants à s’aimer eux-mêmes et entre eux. Si on vit dans l’adversité, il ne faudra pas s’étonner du futur proche. On me dit: "les textes de rap aujourd’hui sont violents". Mais vous avez regardé la télé ? Faut pas s’étonner de ce que les jeunes recrachent. On met des trucs de fou dans la tête des gens, ils font des trucs de fou, après vous en parlez, etc… Je suis égaré parce qu’on en vient à sortir des objets pas finis pour rester dans la course. C’est quoi cette histoire ? Ça veut dire que tu n’as pas fini le téléphone, que tu me le vends, et tu me fais des photos de fou pour que je le prenne. On sort des choses pas finies juste pour les foutre dans la main. Monde de fou. Il faut le savoir, pour trouver sa place. On ne peut pas trouver sa place dans une fausse idée. Si tu es sur un échiquier et que tu penses que t’es en pleine mer, tu vas avoir du mal à trouver ta case. Donc les femmes on a besoin de vous, c’est votre heure. On va voir ce que vous allez en faire. C’est dur le pouvoir. Moi, je ne veux pas du pouvoir. Et pourquoi je parle de femme, parce que l’homme n’a jamais connu une ère aussi douce qu’aujourd’hui. Plus de guerre, moins de pression. Les femmes travaillent, il y a 30 ou 40 ans, il te fallait faire vivre ta famille, il y avait de la pression. Aujourd’hui on parle avec les enfants, on s’occupe d’eux. Si un homme n’a pas de problème personnel profond, il est moins porté sur l’argent, mais plus sur l’accomplissement. J’ai l’impression. On est plus sur le besoin de passion que sur le besoin de répondre à l'image qu'on se ferait d'un homme. On parle davantage d’homosexualité, ça évolue dans le bon sens. L’homme n’a jamais été dans une position aussi douce dans l’histoire de l’humanité.
F
énération. J’aime bien ce mot. On en parle beaucoup. Ça va tellement vite aujourd’hui que ce n’est plus tellement question d’âge que de manière de penser ou d’agir. J’ai commencé à y réfléchir quand un artiste de 25 ans m’a dit un jour qu’il ne comprenait pas ses pairs de 20. Je me suis dit que la distance avait été réduite, parce qu’on pense fondamentalement différent d’un âge à un autre, et sans transition. Génération aujourd’hui, c’est rythmé par les artistes, les tendances. C’est des lettres, X, Y, Z. C’est devenu une question culturelle, mais c’est une triste manière de séparer. On devrait profiter de la distance qui se rétrécit pour nous rassembler, échanger directement. Il n’y a pas de génération aujourd’hui. Aujourd’hui, 4 ans c’est "à l’ancienne". Le temps rétrécit. Je me demande comment vont gérer ceux qui sont nés là-dedans, parce que ça reste inhumain. Ce n’est pas naturel. Ça va conditionner les goûts, la manière de s’habiller, de penser même. La manière de penser vient d’Internet, modifie le cognitif. Et qu’est-ce qu’on échange ? Je suis littéraire et attaché à la langue. Je parle deux-trois langues. Mélanger les langues dans un but éditorial, je trouve ça absurde, mais aujourd’hui tu peux te le permettre, y compris d’avoir des textes qui ne veulent rien dire. La meilleure mise à l’image de cette situation c’est Mister V, son sketch où il y a des mots au tableau, et où le gars répète les mots dans tous le sens jusqu’à trouver le bon ordre et le refrain. Voilà. C’est du type beat.
G
"Il n’y a pas de génération aujourd’hui. Aujourd’hui, 4 ans c’est ‘à l’ancienne’. Le temps rétrécit"
armonie. Déjà c’est un très joli mot. Féminin - tiens, il faudra rajouter sur le mot "Femme" que l’homme accepte de plus en plus sa féminité. Harmonie, ça me fait penser à une réponse que j’ai donnée l’autre jour, à propos de mon arrivée aux 20 ans de carrière. Je suis dans le rap. Dans la musique. D’après ce que j’observais, de mes compères, de mes comparses, de mes aînés, de mes maîtres, quoi qu’on fasse si on répond à ces lois de la nature d’équilibre qui sont universelles et applicables dans tous les domaines, eh bien on s’approche de l’harmonie. Des notes qui vont ensemble, des images qui vont ensemble, des couleurs, des éléments… un équilibre qui fait que tout est agencé, tout est parfait. Et c’est quelque chose que j’applique dans toute ma vie. L’harmonie. Aussi bien en musique que dans ma manière de discuter, dans mes relations. Il faut être à la recherche d'harmonie. Ça en revient à l’intuition. Quand il n’y a pas d’harmonie, c’est votre intuition qui la détecte en premier, et il faut l’écouter.
H
ntuition, donc. Je suis quelqu’un qui croit que l’intuition est quelque chose de très important et qu’il faut l’écouter. Parce qu’on ne peut pas tout calculer. Il y a quelque chose qui nous dépasse et qui est l’inconscient, on ne sait pas à quel point il nous dépasse et on l’étouffe, alors qu’il pourrait nous rendre service. L’intuition c’est l’expression de cette petite voix, et je pense qu’il y a beaucoup beaucoup de mots qu’on porte, qui sont dûs à cette coupure avec l’inconscient. La place qu’on laisse au conscient, avec toutes les erreurs que j’ai citées auparavant, ne laisse pas de place à l’inconscient. Je pense que l’intuition est un pouvoir magique. Dans les rapports humains, aussi. J’avais écrit il y a quelques mois "je maudis ce jour où je t’ai croisé de bonne humeur, si j’avais su je ne t’aurais jamais demandé l’heure". C’est ça. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise expérience, il y a des expériences plus ou moins difficiles, mais on en retient toujours quelque chose. À chaque fois que ça se passe mal, il y a toujours ce moment où vous le saviez. Ce moment où vous n’avez pas écouté votre intuition. Quand on ne suit pas son intuition, c’est qu’on n’a pas confiance en soi. On n’a pas confiance en ses décisions, en son sens inné. On commence à réfléchir… les raisons de merde.
I
ardin. Je n’utilise pas beaucoup le mot "fan". Sauf si c’est pour faire savoir à un interlocuteur de qui je parle au premier degré, mais sinon, la définition ne me correspond pas. Le mot "fan" vient des années 60 avec les vedettes et les idoles, mais aujourd’hui les artistes ont tellement de proximité avec le public qu’il y a moins de distance. Tu peux parler du travail de l’artiste, donner ton avis, peut-être même qu’il va te lire, tu peux lui envoyer un message, peut-être même qu’il va te répondre. Pour moi, le mot "fan" est devenu obsolète. Donc j’ai pris l’habitude d’appeler mes fans, puisqu’aujourd’hui on parle de followers - c’est rentré dans le dico ? -, de flowers. J’ai juste enlevé le premier O, pour faire flowers. Parce que déjà je suis passionné de plantes, j’adore ça. Et je préfère les imaginer dans un jardin qui pousse pour des raisons que j’apprécie et qui sont dues à une manière de voir les choses. Quand je suis en concert, je me sens dans un jardin. Je suis avec mes flowers, mes fleurs. On a pris racine, on vit de la même lumière, on vit ensemble, et on voit les choses de la même manière. Voilà, jardin. Et puis il faut dire que je suis urbain, donc j’ai une fascination pour la terre, les plantes, les arbres, que peut-être ne peut pas comprendre un gars de la campagne. D’ailleurs, je vais vous parler de Parisiens un peu plus tard.
J
inésithérapie. À partir d’un certain âge, tout le monde a mal partout. Et de plus en plus jeune. J’ai une prothèse à la hanche, qu’on m’a posée il y a 5-6 ans. Tous les médecins que j’ai vus me disaient "ce n’est pas normal à votre âge". Mais c’est comme ça. Quand je vais chez mon kiné, il me fait faire des exercices normaux. Je veux dire, on s’est tellement éloigné de la nature, avec nos vies sédentaires, qu’on ne fait plus rien au point de s’ankyloser, de ne plus bouger, et de se figer. On ne bouge tellement plus qu’on est obligé d’aller voir des gens qui nous font bouger comme si on faisait du sport, des kinésithérapeutes. On n’est pas fait pour rester assis toute la journée, on est fait pour aller chasser. Notre constitution est toujours basée là-dessus. Le déséquilibre de notre vie sédentaire, plus ce qu’on ingère, fait qu’on va peut-être bientôt retrouver le taux de mortalité de nos grands, arrière grands-parents. Toute l’évolution de la médecine n’aura servie à rien, à cause des pesticides, des ondes… aujourd’hui le problème de thyroïde chez les femmes est une catastrophe. Le cancer, tu n’y passais pas avant 40-50 ans, aujourd’hui, c’est bien avant. Les cellules se dégradent. C’est dû à cette sédentarité, et à toutes ces transformations, la sur-consommation. Bientôt l’obésité morbide. À l’époque en France il n’y avait pas de gros, tu ne trouvais pas de double XL. Maintenant, ça devient fréquent.
K
angue. Un jour je me demandais pourquoi je parlais Français. Moi au début je parlais bambara, et je ne sais pas si tout le monde a conscience de ce que c’est, naître avec deux langues - ça n’arrive pas à tout le monde. L’héritage, la richesse, la vision que ça peut donner. Et c’est dommage que cette richesse, à cause du contexte, puisse être une honte. Dans Ghettos du monde, de mon album L’amour est mort, je dis : "Je trouve que les accents de nos parents ont du charme". Parce que cette richesse a été méprisée, transformée en son contraire. Alors que c’est tellement beau. C’est une histoire personnifiée. Je trouve ça fou quand j’entends des parents parler à leurs enfants en langue maternelle, et qu’ils leur répondent en Français, en argot parisien. Dans cet échange il y a une grande histoire. J’adore les langues. J’aimerais en parler une dizaine. Parce qu’elles sont des clés, des juxtapositions de visions du monde. Une langue t’apporte une vision du monde qui n’annule pas l’autre, ça se conjugue. C’est pour ça que le rap français a modifié la langue française, c’est dû à ce mélange. Quand tu vois les mots venus de l’arabe, les expressions, tout est devenu du langage courant, c’est peut-être même dans le dictionnaire. C’est marrant parce qu’aujourd’hui c’est la course à l’existence. Toutes ces entités, entreprises, qui essaient de rattraper le futur par tous les moyens possibles, quitte à aller à l’encontre de leur identité. Une entité comme le Robert, si elle ne fait pas rentrer ces mots, elle risque de rester dans le passé. À la base, c’est le garant de la langue. Il y a l’Académie, est-ce que c’est arbitraire, sur quoi se baser ? Les raisons d’évoluer, aujourd’hui, sont plus motivées par l’importance de rester dans son temps que de suivre ses principes. C’est comme ceux qui pendant des années ont méprisé le rap, ils doivent être dans une position étrange aujourd’hui. Tous ces articles fallacieux, qui ont donné six mois au rap… ce serait drôle de les confronter.
L
oment. Il y a un morceau de l’album qui s’appelle Ma Life. C’est OrelSan qui a trouvé l’idée. J’ai connu des périodes de ma vie où j’avais l’impression d’avoir raté ma life. Donc je disais tout le temps "j’ai raté ma life", et je le chantais. Ça enlevait un peu de cette grippe. J’ai remonté la pente, relativisé certaines choses, et j’en suis arrivé au point où quand je passe un bon moment, j’ai réussi ma vie. Je suis sincère, je me dis "j’ai réussi ma life". Un barbeuc avec des potes, de la bière… je suis trop heureux, c’est ça la réussite de life. C’est toujours à ces moments que j’ai réussi ma vie, parce que la vie est faites de ces petits moments et de leur addition. Et OrelSan m’a dit qu’on devrait faire un morceau là-dessus, parce que j’étais tout le temps en train de le dire et qu’il trouvait ça trop fort. Donc j’ai écrit Ma Life, naturellement, tout de suite. Le bonheur c’est ça. De petits moments. J’ai l’habitude de dire que la vie n’est qu’une suite de problèmes à régler, dès que tu en règles un il y en a un autre sur la liste, et compte-tenu de cela, quand tu en as conscience, un bon moment que tu sais apprécier est toujours le bienvenu. Je le traite à sa juste valeur, je l’accueille, le bon moment. Parce que la vie c’est pas marrant. Alors quand un bon moment arrive, je l’apprécie, à sa juste valeur, tout de suite. Et j’ai réussi ma life, à ce moment là. C’est là que je situe la réussite. Quelqu’un qui est souriant, il a réussi sa vie. Parce qu’à chaque seconde, il trouve un arrangement avec ses problèmes qui fait qu’il arrive à tirer le sourire. Personne n’a une raison de sourire tout le temps.
M
anotechnologie. Aujourd’hui il y a des fourmis robots. Des moustiques robots. Voilà. Vous êtes sur vos smartphones, il y a des moustiques robots. Il y a des chiffres astronomiques qui nous dépassent, et à l’inverse, il y a ça. La miniaturisation. Les drones, les smartphones. Et on n’en a pas conscience, on n’a pas idée d’à quel point on est décalé. Il faut laisser la porte ouverte, garder son esprit ouvert. On n’est jamais à l’abri de quelque chose qui peut nous bouleverser.
N
uverture d’esprit. c’est le meilleur cadeau qu’on puisse faire à un enfant. Ça veut dire l’autonomie, l’amour de soi et de ce qu’on fait. Mais l’ouverture d’esprit va avec l’ouverture d’esprit, c’est justement laisser la porte ouverte à d’autres possibilités plus ou moins plaisantes, qui vont nous construire. Il est important de lier ouverture d’esprit et évolution personnelle. Avec cette génération gâtée, le problème c’est la notion de responsabilité. "C’est moi qui ai fait ça", "c’est de ma faute", "celle des autres"… sans ouverture d’esprit, rien ne sera de votre faute. Vous serez parfaits. Tout sera de la faute des autres. Vous aurez les bonnes raisons de trouver le problème, mais rien ne se règlera jamais. Alors pour ceux qui n’ont jamais réglé leurs problèmes parce que c’est toujours de la faute des autres, qu’ils s’ouvrent l’esprit pour se remettre en question et récoltent le fruit de cette réflexion. C’est ça l’ouverture d’esprit. Je le dis à ma fille : "il faut être gentil avec tout le monde", parce que tu ne sais pas qui pourra t’aider demain, et tu peux te retrouver à marcher sur les pieds de la seule personne qui pourra t’aider. S’ouvrir aussi aux solutions pour soi. Et c’est de plus en plus compliqué. Parce que quoi que tu penses, de bien ou de mal, tu trouveras toujours quelqu’un pour être d’accord avec toi. Et même plusieurs. Donc si tu vas vers le mur, plein de personnes vont être convaincues de ta solution, et vous irez tous dedans. Comment on acquiert l’ouverture d’esprit ? On l’acquiert en écoutant. En parlant avec tout le monde, et en acceptant les paroles de tout le monde. On ne parle pas de boire les paroles, mais de les accepter. Si quelqu’un vous dit quelque chose qui ne vous convient pas, mais qu’il le fait avec courtoisie, il faut l’écouter. Vous pourrez peut-être comprendre une chose à laquelle vous ne vous attendiez pas. Une question qui peut vous sauver, changer votre façon de voir en mieux. C’est ça, c’est écouter, accepter qu’on peut être mieux, et qu’on n’est pas parfait.
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"L'ouverture d'esprit, on l'acquiert en écoutant. En parlant avec tout le monde, et en acceptant les paroles de tout le monde. C’est écouter, accepter qu’on peut être mieux, et qu’on n’est pas parfait"
arisien. Je comprends l’image du Parisien à l’extérieur. Qui est celle d’un arrogant, désagréable, exigeant. Tous les défauts dont il ne faut pas faire une généralité - c’est très important, parce que sinon, tout de suite, vous vous transformez en ceux que vous dénigrez, vous vous comportez plus mal qu’eux. Ensuite, vous ne pouvez pas vivre à Paris et rester intacts. Ça veut dire que lorsque vous voyez les Parisiens arriver, sachez avant tout qu’ils ont une vie très difficile, et plus difficile que la vôtre. Donc forcément quand on quitte une vie difficile pour s’évader, on emmène quelques difficultés avec soi. Quand vous les voyez arriver et qu’ils sont désagréables, si tant est que ce soit le cas, dites-vous qu’ils n’en ont pas conscience, et que ce n’est qu’un petit aperçu de leur vie de tous les jours là-bas. T’as pas le choix, t’es aspiré, t’es angoissé, les prix sont multipliés. Tu as tes dépenses de Province et tu montes à Paris, tu fais la différence tout de suite. Imagine que c’est ça toute ta vie, t’es jamais tranquille. Si tu n’es pas de Paris et que tu y débarques, ça te change. Tu rentres chez toi, on te dit que tu as changé, toi tu n’as pas l’impression, mais tu ne fais que t’adapter à ce rythme difficile. J’adore aller en Province parce que c’est la vie normale, c’est les gens normaux. Quand tu restes à Paris trop longtemps, tu crois que la vie normale c’est ça, et tu deviens désagréable, dur, anxieux, fatigué, parce qu’il n’y a pas d’espace pour passer du temps avec qui que ce soit. L’apéro, je l’ai découvert en Province. C’est pas Parisien. À la limite, c’est Parisien quand il fait beau, et qu’il y a de la place en terrasse. Eh bien oui, c’est quand l’apéro ? Pas le temps. Tu finis de travailler à 20, 21h… tu manges direct. C’est ça : n’haïssez pas les Parisiens, essayez de les comprendre un peu.
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uestion. Il y a plus de réponses dans la question que nulle part ailleurs. Je reconnais les gens aux questions qu’ils posent, pas aux réponses qu’ils donnent. Ça me renvoie à cette phrase : quelqu’un qui vous demande un conseil a déjà pris sa décision (rires). C’est ce que m’évoque une question. Je n’ai pas forcément besoin de converser avec quelqu’un, je m’en tiens à ses questions. C’est aux questions de quelqu’un qu’on peut avoir une idée de son intelligence, pas aux réponses. Les réponses on peut les prendre n’importe où, mais les questions, elles viennent de vous, et donnent une idée de ce qui est important de savoir pour vous à un moment donné. Je suis très très à l’affut des questions. Ça me permet de jauger les journalistes (rires) : qui sait de quoi il parle, qui a bien préparé son entretien… les questions ça fait tout aujourd’hui. C’est bien de parler de journalisme, parce qu’il a changé aujourd’hui. Et il en va des questions qu’on pose, des questions auxquelles on répond, un bon journaliste est celui qui a les bonnes questions. Les artistes sont habitués aux questions, ils ont des réponses automatiques, contrôlent même les questions parfois pour éviter certains problèmes ! Il y a des questions dangereuses, parce qu’il n’y a pas besoin de réponses du moment qu'elles sont posées. La plupart du temps la réponse est dans la question… Pour aller plus loin sur le journalisme, l’information sert de plus en plus au divertissement. Jean-Claude Larcher, dans son livre Malades des nouveaux médias - un livre que j’ai commencé, mais arrêté tellement il me faisait mal à la tête - dit que le média va dépasser le message. Le medium, l’outil, a dépassé le message. On en vient à s’en foutre du message. Et c’est extrêmement grave. L’important est d’avoir la news plutôt que de s’assurer de sa véracité, il y a même cette nouvelle expression du putaclick, c’est fou d’avoir créé cette expression tellement il est devenu commun de voir des informations erronées, c’est l’emballage du contenu.
Q
ime. La disparition de la rime ! La rime disparaît ! Il y a des morceaux de rap où j’ai entendu, du moins j’ai cru entendre - ce qui est déjà pas mal de croire entendre -, des textes qui ne rimaient pas (rires). De quoi on parle alors, s’il n’y a plus de rimes ?! Pour moi il n’y a plus de rap. Tu te construis une image, tu as un smartphone… y’a plus de rap. Fini le rap. C’est un hologramme. Le fait même qu’il y ait des textes qui sortent sans rimes, c’est complètement dingue. Je veux dire, c’est quand même la base de la poésie, les consonances, les allitérations, les petits aphorismes de temps en temps, sans être exigeant tu vois… s’il n’y a plus de rimes, de quoi parle-t-on ? De quoi parle-t-on ? Pour moi, c’est dramatique. Si tu as des textes qui ne touchent pas et où en plus il n’y a pas de rimes… aujourd’hui les mecs rentrent en studio ils ont fait des calculs. La vibe, l’ambiance. Gucci Gang. Quand Gucci Gang est arrivé, je me suis dit "ok, là c’est terminé". Le mec il répète un mot. Un mot.
R
ophistiqué. On dit toujours que la simplicité est la preuve des maîtres. On se cache trop derrière des artifices qui sophistiquent tout, et qui niquent tout. La sophistication c’est le plus simple aujourd’hui, et c’est la fuite. C’est la peur. La peur de se présenter et de se mettre à nu. On sophistique pour faire croire qu’il y a de la technique.
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roquet. C’est une bonne partie de ma vie, le troquet. Ça peut s’apparenter au country club de son quartier. Il n’y a que des hommes, ça parle comme nulle part ailleurs, ça pue le café - à l'époque la clope -, l’ambiance des courses. Les cafés pour moi c’est ça, les ragots sur tout ce qu’il se passe dans le quartier à l’instant T, et puis c’est l’ambiance : le barman, le cafetier… C’est toute ma vie. Il n’y a pas plus Paris que les troquets et les épiciers. J’y ai toujours mes habitudes, c’est évident. Sinon t’es pas Parisien.
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"Le fait qu’il y ait des textes qui sortent sans rimes, c’est complètement dingue. De quoi on parle, s’il n’y a plus de rimes ?! Pour moi il n’y a plus de rap. Fini le rap. C’est un hologramme"
ltra. L’autre jour j'ai vu une pub pour une box. La pub, c’était : "3 fois plus rapide, 3 fois plus fort". Mais plus fort que quoi ? Le mot ultra, c’est un mot d’aujourd’hui qui traduit une maladie d’aujourd’hui : être le plus, plus, plus. Je parlais auparavant du niveau d’exigence quand on se lance dans quelque chose, de l’image qu’on se fait de son niveau et de là où on veut arriver, ben ultra c’est ça : plus que plus. Mais c’est le malheur, plus que plus. C’est une maladie d’aujourd’hui. Ne pas se contenter, l’insatisfaction totale et permanente. C’est ce sketch de Thomas Ngijol, où il dit qu’il ne va plus sur YouPorn parce que quand il clique sur une vidéo, en dessous il y en a cinq autres qui proposent des trucs mieux. Avant qu’elle ne commence il clique sur l’autre, et la scène se répète toutes les dix secondes, au bout d’une heure il n'a rien regardé du tout. C’est pareil. On en est là. Le choix de l’embarras, qui ne te fait rien choisir. Ultra, ça me fait penser à ça. Au final, tu cherches le plus, plus, plus, sans savoir que tu en as besoin.
U
incent Cassel. Parce que Vincent Cassel. L’un des plus grands acteurs français. Mon pote. Personnage haut en couleur, inspirant, qu’on devrait aimer. Vraiment. Parce que c’est une figure internationale et qu’il faut encourager les grands éléments qu’on a, ne pas attendre qu’ils soient reconnus à l’étranger - bon je ne parle pas de Vincent dans ce cas là - parce que quand ils reviennent c’est avec un peu d’amertume : "Je suis pas reconnu chez moi alors que j’ai pété à l’étranger". Je parle de Vincent Cassel parce que c’est une fierté. V, Vincent Cassel.
V
inner. J’ai écrit un morceau qui s’appelle Les Meilleurs. Il n'est pas sur l’album, il sera peut-être sur le prochain. Dans ce morceau je dis au refrain : "On est les meilleurs, on a toujours été les meilleurs". Et je le dis souvent. J’ai joué dans un opéra moderne il y a quelques années, sous la direction de Laurent Auzet et Fabrice Melquiot, un auteur prolixe très doué, et le texte de cette pièce racontait la rencontre de Steve Jobs avec son cancer qui allait le tuer. Lui qui essaie de se défendre, de par son importance pour le monde, sa vision… c’était incroyable. Et il y a donc cette phrase que son personnage dit dans la pièce. "On est les meilleurs, on a toujours été les meilleurs". Je n’ai pas arrêté de me le répéter, parce qu’il n’y a rien de plus motivant que ça. Que tu es le meilleur. Et rien que de se le dire, même si tu n’y crois pas, ça te propulse. Et je ne parle pas de le dire à quelqu’un, ou de se le voir offrir. J’ai écrit un morceau là-dessus. L’autre jour on me dit : "c’est pas un peu arrogant ?". J'ai répondu que c’était marrant de le voir comme de l’arrogance, et pas comme de l’encouragement. Il y a d’autres pays, d’autres cultures, chez qui cette pensée a pu emmener certains au firmament. Rien que le sport. On néglige la force d’un encouragement. "Les meilleurs, on a toujours été les meilleurs", c’est comme un mantra protecteur, un super pouvoir qu’on a dans la tête. Où qu’on aille, quelle que soit l’épreuve, si on se répète cette phrase, on se donne les moyens pour y correspondre. Ça demande du courage de se le dire et d’y croire, mais il n’y a rien de plus gratifiant et rétributeur que ça. Si des gars commencent à douter, "on est les meilleurs, on a toujours été les meilleurs", et là, le chemin prend une autre couleur.
W
-Men. C’est fou comme un groupe peut marquer une génération sans avoir vraiment fait d’album. On a beaucoup plus écouté leurs freestyles radio. Tout ça ne tient qu’à une centaine de mots, bien agencés, mis en musique. Deux-trois chansons… Ça me fait penser qu’il ne faut pas beaucoup pour changer le monde, pas besoin de tartines. Ils auraient pu arrêter leur carrière à J’attaque du mike. La première fois que je l’ai entendue, je me suis dit que je n’arriverais jamais à ce niveau là. Sur Les bidons veulent le guidon, je suis à côté d’eux, il m’a fallu sortir le meilleur, il le fallait, à côté d’eux t’es obligé. Sinon tu n’as pas ta place, tu es indigne. Donc tu grattes, tu cherches, tu sors le meilleur de ce que tu as, pour ce que eux font en cinq minutes depuis des années. Il n’y a rien de plus encourageant que ça. "On est les meilleurs". Avec Time Bomb, on voyait les choses comme ça. C’est fou ce que la contrainte, la frustration, qui ont disparu aujourd’hui, ont pu être comme moteurs. Aujourd’hui, de quoi va rêver un artiste ? D’être sur scène, de signer son contrat, faire des selfies, avoir un million de followers. Mais c’est totalement à côté de la plaque. Aujourd’hui c’est compliqué d'amener quelque chose de nouveau, parce que tu n’as plus de contrainte qui t’oblige à chercher une solution. La créativité va avec l’effort, comme je le disais. Vu qu’il n’y a pas de contrainte, il n’y a pas d’effort. Tu veux faire un morceau, tu trouveras une instru en deux minutes, tu veux t’inspirer d’un flow... en fait non, tu n’as pas besoin de flow. Ni de texte. Par contre il te faudra une belle image.
X
ing et Yang ? J’adore les mots en Y. Parce que ce sont des mots qui viennent d’autres cultures, d’autres langues comme le Grec. Ça me fait souvent penser à des mots asiatiques, synonymes d’apaisement. Ying et Yang, Yoga…
Y
en. Le zen n’a pas de prix. Il a disparu. Il n’est pas sur les réseaux sociaux en tout cas. Le zen c’est la clé. C’est une belle fin. C’est la raison pour laquelle on fait tout ça, en vérité. C’est la recherche ultime, le zen. Moi personnellement, le but de ma vie, c’est ça. Être zen, et rigoler avec mes potes. Le but de ma vie, et je le dis à tout le monde. Quelques fois je parle avec des gens qui se trompent de but, et pour confirmer leur erreur je leur demande quel est le but de leur vie. Question compliquée, hein. Le mien c’est ça, être zen, et rigoler avec mes potes. C’est tout.
Z
"Le fait qu’il y ait des textes qui sortent sans rimes, c’est complètement dingue. De quoi on parle, s’il n’y a plus de rimes ?! Pour moi il n’y a plus de rap. Fini le rap. C’est un hologramme"