Texte
Illustrations
Difficile d'imaginer aujourd'hui une carrière de rappeur
à l'échelle de la rue, soutenu strictement par des connaisseurs. En plus d'avoir des choses à raconter et une façon originale de le faire, les rappeurs doivent développer leur image, la renouveler et l'installer. En 2019, il s'agit surtout d'établir une stratégie plutôt que d'approvisionner régulièrement la Sainte Trinité Instagram/Facebook/YouTube comme certains le font encore en retweetant tous les comptes mentionnant leur nom – sérieux qui fait encore ça ? Tout est une question de dosage, de timing. S'associer à une marque ou une célébrité pour bénéficier de son image – ok. Faire régulièrement des Facebook Live avec ses fans comme Despo Rutti – pourquoi pas. Faire participer ses fans à son album – encore mieux. Le balancer sur une plateforme exclusive avant sa date de sortie – oui. Supprimer ses comptes pour voir si l'on vous pleure façon Shay et Damso – à ses risques et périls. Dédicacer d'autres rappeurs pour ne pas montrer que vous êtes seuls – conseillé. Clasher tout le monde pour le fun – déconseillé si vous n'êtes pas Booba. Envoyer vos sons à des Youtubeurs célèbres – malin. Privilégier la qualité si vous ne pouvez pas assurer la quantité. Participez, commentez surenchérissez, polémiquez s'il le faut... Il y a des tas de façons de « maîtriser » Internet et de créer une communauté qui,
avec de la chance, portera même votre nom.
Rod Glacial
Sarah Estejé
faites ce que vous voulez mais on vous aura prévenu :
le secteur est relativement bouché. Les règles ont changé et elles changent d'ailleurs à chaque saison, comme la mode, il va falloir suivre. Le rap français de 2019 n'a plus rien à voir avec celui de 2009, et encore moins avec celui de 1999. N'évoquons même pas celui de 1989, vous n'étiez pas né, lui à peine. Aujourd'hui, plus personne ne garde le même job à vie, encore moins si ce job est « rappeur » – sauf si vous vous appelez Booba ou Rim'K. Vu que pour l'instant, vous n'êtes ni une exception, ni le fils de quelqu'un, vous allez devoir charbonner. Rassurez-vous,
le rap est désormais fait par n'importe qui et destiné à tout le monde, aussi bien pour votre frère « bre-som » que pour pour votre maman s'enjaillant sur « Djadja ». En effet, pour la première fois dans l'histoire, 4 des 5 albums les plus vendus l'année dernière en France sont issus du rap. Le rap, ou plutôt « l'urbain » dans lequel on range aussi bien l'afro-trap de MHD que l'urban pop de Lartiste, a arrêté de ne parler qu'au rap. Vous arrivez donc au bon moment. Le décloisonnement et la diversité sont les nouvelles valeurs à suivre, et plus personne ne vous traitera de vendu si le succès est au rendez-vous : vous l'aurez juste mérité ! Pour évoluer au sein de cette jungle, il faudra cependant mettre en application dix commandements, dix règles auxquels le rap français d'aujourd'hui obéit. À vos stylos.
Ceux qui l 'ont mieux compris :
PNL et leur stratégie de fidélisation par la rareté :
ils n'acceptent aucune interview, donnent de rares concerts et teasent des semaines à l'avance la sortie d'un simple morceau en ligne, forçant leurs fans à trouver dans leur utilisation des emojis un message subliminal, une date, un signe.
JoeyStarr qui reposte les memes les moins drôles de Facebook et Instagram
Celui qui va trop loin :
« En vingt ans d’existence, le rap, c’est quoi ? Cinq ou six sites Internet qui comptent, deux radios, dont une qui boite, zéro magazine puisque RAP R&B n’est plus édité... Pourtant, c’est nous qui vendons ces millions d’albums,
qui remplissons ces salles partout en France. […] Ça me fait peur que des grands groupes viennent et assènent
des lignes de crédit à des blogs, des pages Facebook, rachètent tous les sites, et que ce monde-là nous échappe, qu’il ne nous appartienne plus du tout. Je ne
suis pas le révolutionnaire de l’année, à mes heures je
suis même un capitaliste en puissance, mais il faut que
l’on garde un contrôle. » Sofiane, rappeur/entrepreneur
L'avis du pro :
« Je ne dis pas à Booba quoi faire, c'est un grand artiste, ma mission est juste de rendre possible ce qu'il veut faire […] J'ai plus de bonheur à voir un artiste jouer dans une foule de 40.000 personnes que de savoir que mon nom est quelque part. » Anne Cibron, manager, Booba/Orelsan
L'avis du pro :
Le staff de Youv Dee qui ne l'a pas prévenu que Lil Yachty avait déjà la même coiffure que lui en 2015
Celui qui n'est pas assez entouré :
Kekra qui après avoir bossé longtemps avec le duo de beatmakers Double X s'est entouré de la triplette Hottrak/Savaane/Wealstarr sur son dernier album sans jamais travestir son style, tout en continuant à s'associer à des clippeurs malins comme Ousmane Ly, Cody Macfly ou Nicolas Noël
Celui qui l 'a mieux compris :
Auparavant, un rappeur qui voulait percer se contentait d'être armé d'un solide manager, bien souvent un pote plus malin que les autres. Il doit désormais gérer un organigramme qui comprend aussi bien un beatmaker et un clippeur attitré (voire plusieurs), un photographe et un styliste, de même qu'un graphiste et un community manager. Si en plus de ça, il a sa propre marque de vêtements (comme Orelsan ou Jul) ou carrément son label (comme Sofiane ou Rim'K), ce n'est pas négligeable. En attendant de devenir son propre patron, faire le maximum de truc soi-même ou avec son équipe permet de minimiser les risques, d'autant que vous ne savez jamais si votre major va pousser votre carrière comme il faut. Pas de honte à ne plus écrire tout seul sur la banquette du RER : un morceau s'écrit avec de plus en plus de monde, du producteur au beatmaker en passant par le topliner. Tout ce petit monde est là pour vous façonner tout en respectant votre identité, vous pousser à prendre des décisions et à faire des choix musicaux et artistiques que vous n'auriez peut-être pas fait seul avec vos potes. Vous pensez que Disiz La Peste a pris lui-même la décision de retirer « La Peste » de son nom ? Que Joke aurait été tourné un clip au Japon en 2013 sans l'inspiration de la réalisatrice Nathalie Canguilhem ? SCH aurait-il explosé sans les prods de DJ Kore ? Lomepal serait-il aussi inspiré sans son pote Superpoze ? Depuis quelques années, les rappeurs français prennent de plus en plus de risques, même si on est encore loin des expérimentations visuelles et sonores d'un Travis Scott ou d'un A$AP Rocky. Conseil sympa : lâchez un peu Fifou (le mec est surbooké) et allez chercher des photographes ailleurs, c'est pas ça qui manque !
« Au début de Booska-P, quand les clash ont commencé à l’époque de Booba et Rohff puis La Fouine, on en parlait mais toujours avec retenue. Évidemment ça nous rapportait des clics et beaucoup de visibilité, mais c’était des faux clics, ça tue ta crédibilité et l’image du site. Nous avons pris conscience qu’à travers notre métier nous étions des acteurs de ce mouvement et on a surtout envie que notre mouvement brille et soit respecté. Il y a trois ans nous avons fait un choix éditorial, tout ce qui touche aux clash/guéguerres dans le rap nous n’en parlons plus. Bonnes vibes only. » Fif, journaliste/animateur, Booska-P
L'avis du pro :
MC Jean Gab1 qui après avoir sorti le morceau « J't'emmerde » où il défonçait tout le rap français en 2003, s'est depuis réorienté dans le street workout
Celui qui est allé trop loin :
Koba LaD qui invite Juicy P dans son clip à bord d'une Polaris Sling Shot, afin de réconcilier à la fois les jeunes, les vieux et les fans de voitures
Celui qui l 'a mieux compris :
Si les années 1990 étaient placées sous le signe de l'adversité et des beefs, la paix est maintenant de rigueur. Plus besoin de rimes discriminantes pour exister. Les programmes Rap Contenders et Rentre dans le cercle ont fait les belles heures de YouTube parce que le battle y était vu comme une pratique bon enfant et sportive. Mieux vaut être pote avec tout le monde, sans forcément que ce soit intéressé. Et si ça double votre fanbase, vous n'allez pas vous en plaindre. Le dernier exemple marquant en la matière étant l'album collectif 93 Empire de Sofiane, réunissant une quarantaine de rappeurs parmi lesquels
des types aussi éloignés que NTM, Vald, Alpha 5.20, Dinos, Busta Flex ou Soolking. La multiplication des featurings – les albums sans invité sortis dernièrement se comptent sur les doigts d'une main, les associations inter-pays et inter-villes, les invitations sur scène et concerts communs, les interviews copain-copain, etc, tout nous montre que l'heure est à la fraternité et ce n'est pas une vulgaire altercation dans un aéroport qui va ternir le chemin que prend le rap français. Passe le message à ton voisin.
« Moi, ce qui m’intéresse dans le rap c’est l’émotion. Quelque chose qui va être touchant, par son approche,
ses paroles … PNL arrive à mettre quelque chose dans un espèce de mélange complètement bateau ou classique dans le rap français : la prison, la rue, le deal. Il y a une émotion qui moi me touche et que je ne sens pas chez d’autres artistes qui vont développer les mêmes thèmes. » Olivier Cachin, journaliste
L'avis du pro :
Seth Gueko qui évoque la perte d'authenticité du hip-hop actuel sur le titre « Rap Classic » (« On fait du rap classique pour les petits gars de chez nous / Ouais y a pas de pop ici barrez-vous »), en featuring avec Akhenaton, évidemment
Celui qui va trop loin :
Dinos qui nous fait chialer tellement il se confie sur son album Imany
Celui qui l 'a mieux compris :
Ce n'est pas parce que vous évitez autant que possible de monter au clash, qu'il faut vous résigner aux rimes sympas ou à dire n'importe quoi ; on parle de rap quand même.
Ok, l'authenticité de la rue n'est plus une valeur d'échange mais l'essentiel du public rap, qu'il vienne de banlieue ou de Saint-Brieuc, ne supporte pas les imposteurs ou ceux qui font semblant. Si vous faites du rap, faites-le à fond ou ne le faites pas. Créez vos propres adlibs, ne les piquez-pas à Niska ou aux rappeurs d'Atlanta. Moha La Squale, Heuss L'Enfoiré, Varnish La Piscine ; leur pedigree est contenu dans leur nom – réfléchissez donc à deux fois avant de vous baptiser Ben Le Barbare, est-ce vraiment vous ou le personnage que vous voulez être ? Si vous choisissez de filmer des bagarres dans votre clip, assurez-vous qu'elles ne soient pas trop chorégraphiées (n'est-ce pas Jok'Air),
si vous conduisez une voiture, vérifiez le type de carburant qu'elle consomme (pas comme PLK et sa 205 cabriolet blanche dans le clip de « Monégasque »), si vous voulez mettre des armes dans votre clip, qu'elles soient au moins bien imitées (octroyez-vous les services de ArtStreet Equipment), ne parlez pas de baiser des mères si vous êtes homosexuel, ou plutôt si, faites-le, si votre style est de ne rien respecter du tout, alors banco, pensez Vald et Lorenzo.
« Le mec a réussi à rester numéro un du rap français malgré l’âge et l’évolution des tendances, c’est très fort. Et il est encore plus impressionnant dans sa faculté à choper à chaque nouvel album une nouvelle génération de rappeurs et d’auditeurs. Pour moi, Booba et Alonzo sont au-dessus du lot. Ils ont récupéré la nouvelle génération, indéniablement alors qu'ils ont débuté au siècle dernier. Ils sont encore crédibles. Beaucoup essayent de faire comme eux, de rester dans la tendance sans pour autant y arriver… Seuls les plus forts survivent, histoire de paraphraser Mobb Deep. » Benjamin Chulvanij, DG, Def Jam France
L'avis du pro :
Médine qui avait envoyé une pique à Booba en 2014 au sujet du conflit israélo-palestinien mais qui représente à ses côtés dans le clip de « KYLL » tourné à Alger en 2018
Celui qui l 'a compris avec le temps :
Maes qui a explosé grâce à « Madrina » en featuring avec Booba
Celui qui l 'a mieux compris :
Kaaris, Kalash, Damso, Dosseh, Shay, Benash, Siboy, Kekra, Koba, Niska, Maes, et bien d'autres... Qu'il les ait lancés via son label 92i, soutenus via sa plateforme OKLM, ou simplement validés via son compte Instagram ou à l'aide d'un featuring, force est de reconnaître que Booba est encore aujourd'hui le baromètre du rap français. On peut certes déplorer le fait qu'il n'ait pas d'autre équivalent en France : quel leader d'opinion dans le rap est capable de fédérer à la fois les détraqués du web, les lecteurs de M Le Monde, les chimistes et les graphistes ? Booba occupe cette place depuis de nombreuses années sans jamais s'être fait ringardiser. Le Duc réussit encore à surprendre, que ce soit dans sa musique ou quand il insulte la grand-mère de Kaaris en direct au téléphone dans une émission de Cyril Hanouna. Le rap sera toujours un jeu et Booba sera toujours là pour nous le rappeler.
« C'est venu tout simplement, dans mon camion. J’étais entre deux livraisons, à Castres. J’avais les gilets jaunes en face de moi. Et comme j’écoute tout le temps des instrus à fond dans mon camion, ça m’est venu, d'un coup. Gilet jaune, hey ! » Kopp Johnson, rappeur/livreur
L'avis du pro :
Kopp Johnson et son morceau « Gilet Jaune » (20 millions de vues), pas sûrs en revanche que l'album tienne ses promesses
Celui qui est allé trop loin :
Kalash Criminel qui enfile un gilet jaune sur Skyrock
Celui qui l 'a mieux compris :
Nous n'avons pas toujours les clés pour mesurer ce qui compte réellement au présent, les choses dont on parlera encore dans 5, 10, 15 ans, les expressions, les marques, les jeux vidéos, les séries, les joueurs de foot qui seront encore dans les débats. Et comme tout va très vite, il est donc logique de digérer tout ce qui pop dans votre fil d'actualité rapidement. Pour pouvoir être long-termiste, il faut d'abord étudier le court-terme, c'est ce qu'a fait le rappeur bulgare FYRE lorsqu'il a sorti le morceau « Kylian Mbappé » en août 2018, un carton sur YouTube qui l'a amené à répondre à plusieurs médias français. Est-ce que cet artiste mènera une carrière digne de ce nom ? Est-il opportuniste ? Ce n'est pas le problème, il a déjà gagné en s'accaparant votre attention pendant quelques instants. Le zeitgeist peut toutefois se retourner contre celui qui veut se l'accaparer. À vous de choisir si vous voulez réussir dans le rap, ou réussir dans le meme. Même si les deux peuvent être compatibles – Lorenzo le prouve – c'est un art à manier avec précaution. La reprise de XXXtentacion par la Fouine n'est pas passée auprès de tout le monde par exemple. La collaboration Lacrim X 6ix9ine, alors que ce dernier est en prison et fait la une chaque jour : bingo ! Pas de bile si vous n'avez pas la force de frappe des suscités, entre les trottinettes électriques, Netflix ou le prélèvement à la source, vous trouverez bien.
« Le rap est devenu pop. Ce qu'il s'est passé avec la Coupe du Monde, les morceaux que les joueurs écoutaient, Aya Nakamura, Vegedream, tout ça a permis en quelque sorte d'institutionnaliser le rap français. Il n'y a jamais eu autant de tubes dans le rap depuis ces 3 dernières années, de Niska à MHD, alors qu'il y a 20 ans pendant l'autre Coupe du monde, le seul vrai tube c'était Manau ! Malgré ça, Internet a un peu le tort d'être un miroir déformant vu que le public rap y est très présent. Est-ce que ça veut dire aujourd'hui qu'il y a plus de gens en France qui écoutent Végédream que Patrick Bruel ? Je ne suis pas sûr. »
Mehdi Maïzi, journaliste/animateur, OKLM/Deezer
L'avis du pro :
SCH qui a voulu tenter le tube sur son morceau
« Temps mort » mais qui n'a convaincu personne
Celui qui a tenté le coup :
Booba qui pousse la chansonnette tous les ans depuis « Validée »
Celui qui l 'a compris depuis des lustres :
Le « rap » ne se limite plus au rap depuis belle lurette et les rappeurs classiques s'autorisent naturellement des incartades afro, R&B ou pop. Le groupe Sexion d'Assaut qui a lancé cette « pop urbaine » il y a 15 ans a pu placer deux des plus gros vendeurs de disques français sur le marché : Maître Gims et Black M. Évidemment, beaucoup se sont engouffrés dans la brèche depuis : Dadju, Keblack, Lartiste, Marwa Loud, Naza... Puisque les deux courants sont solidaires et rangés dans « l'urbain », tout le monde veut son tube « pop rap » sur son album, avec plus ou moins de réussite. Grâce à l'Auto-Tune, la pudeur n'a plus lieu d'être et tout le monde s'est mis à chanter, les rappeurs ne sont pas devenus schizophrènes mais essaient des choses au micro, qu'ils s'appellent Niska, Kekra ou Koba. Pareil au studio, que ce soit le penchant brésilien de Sadek sur « Johnny de Janeiro » ou les délires dubstep de Kery James. Mais attention, ne déroutez pas trop l'auditeur non plus au risque de le perdre – il nourrit un besoin continuel qu'on lui confirme son bon goût. L'exemple récent d'Aya Nakamura est très parlant. Il a fallu que les « médias culturels » louent enfin ses qualités pour que tout le monde avoue la kiffer.
Et les Victoires de la musique peuvent dead ça.
« Les artistes ont compris que leur musique était très liée à la plateforme de distribution de leur musique. Le streaming est maintenant conçu comme un réseau social, la chaîne YouTube sert à communiquer directement auprès des fans et à recueillir leurs réactions. (...) Le contrat que je propose est le même pour tous : 30% des ventes sont pour nous,
le reste pour eux et le tout tient en deux pages. C’est hyper clair, il n’y a pas de clauses et ça prouve aux artistes que l’on va tout faire pour mettre nos services (graphistes, attachés de pressage, pressage,…) à leur disposition afin que ça marche et que la collaboration se poursuive. » Julien Kertudo, Musicast
L'avis du pro :
Maître Gims qui ne parle plus qu'en chiffres
Celui qui va trop loin :
Niska, l'entertainer préféré de la planète rap ne se satisfait pas des 250 millions de vues de « Réseaux » et s'est allié avec Diplo dans le clip de « Boom Boom Bye » pour aller chercher le public EDM
Celui qui l 'a mieux compris :
Suivis de près par les labels et les rappeurs eux-mêmes, ce sont les compteurs YouTube et Spotify qui donnent l'heure. Il faut donc capitaliser sur ce qui fonctionne et ne pas se fier aux haters, qui disparaîtront avec le nombre de zéros. Même depuis les polémiques sur les vues YouTube achetées par des tiers ou les streams Spotify gonflées par des logiciels, ces chiffres font toujours la loi. Ils peuvent même servir d'arme quand il s'agit de toiser la concurrence en diffusant par exemple un démarrage catastrophique pour tel album de tel artiste. Restez serein, et dites-vous que vous ne ferez pas pire que les 700 ventes de 1000% de Doc Gynéco lors de sa première semaine de sortie, ou que vous pourrez toujours rebondir comme Booba l'a fait après le semi-échec 0.9. Que nous ont appris les chiffres de vente en 2018 ? Si Johnny Hallyday a niqué le game avec 300 00 albums vendus en une heure pour 1 million 4 au total et a terminé logiquement n°1, derrière se sont bousculés Maître Gims (612 000), Dadju (444 000), Orelsan (324 000) et Damso (261 000). 4 des 5 succès de l'année passée sont donc urbains. Les Enfoirés sont dégoûtés.
« Avec l’ascension de la nouvelle variété urbaine, qui correspond aux grosses tournées en Zéniths à guichet fermé, le rap a attiré tous les tourneurs qui, habituellement, ne faisaient que de la variété française traditionnelle. Pour deux raisons : certaines tournées sont devenues une manne financière importante, et le rap est devenu un style musical incontournable pour qui veut avoir un roster nouveau et « jeune ». Autre élément, il y a aussi de plus en plus d’artistes qui préfèrent être le seul groupe rap du roster electro, rock, pop ou chanson d’un tourneur. »
Eric Bellamy, tourneur, Yuma Productions
L'avis du pro :
Rohff qui n'a prévu aucun concert pour soutenir son nouvel album, Surnaturel
Celui qui va trop loin :
Orelsan qui a joué dans tous les festivals possibles en 2018
Celui qui l 'a mieux compris :
Faire des vues c'est bien, mais la présence physique conserve son importance, surtout dans le rap. Le public veut se filmer en train de chanter votre refrain dans une salle de concert, il adore ça. Et c'est là qu'on voit si l'essai est transformable. L'époque des tournées des discothèques et des showcases au Virgin Mega Store (RIP) est révolue. Un décor constitué uniquement de ses potes ne suffit plus, en témoigne la scénographie forestière étudiée de PNL à Bercy ou les élucubrations de Jul débarquant sur scène en scooter. Les rappeurs se produisent maintenant aussi bien dans les salles dites « rock » de villes improbables que dans des festivals hors-rap (Booba en tête d'affiche de We Love Green 2019) . La domination est absolue. Et elle va de pair avec la métamorphose du public qui est de plus en plus mélangé. Le rap ne fait plus peur ! Il attire parents et enfants, cousines et tantines. Quant aux grandes salles parisiennes, il n'y a qu'à survoler l'année 2018 pour s'apercevoir que Joke a booké l'Olympia, MHD & Lacrim le Zénith et Booba a bourré La Défense. Sans oublier Maître Gims qui prépare son Stade de France et rejoint U2 et Johnny dans la légende.
« Le rap a gagné, partout, il est la musique numéro une, il a même influencé la façon de faire d'autres musiques, la pub, la mode... Il a compris et maîtrisé YouTube et le streaming avant, plus vite, et mieux que les autres. Le rap ne devrait donc plus avoir à s'excuser d'être là, à supporter la condescendance des deux ou trois gros talkshows de la télé. Le rap a tout gagné mais il ne tient pas les rênes tout en haut de la pyramide, il y a encore un plafond de verre, mais il sautera. On a déclaré le hip-hop mort plusieurs fois en 30 ans, il n'a jamais cessé de croître, ceux qui lui sont encore hostiles sont vieux et vont mourir bientôt. Leurs enfants écoutent sûrement du rap, c'est juste une question de temps. » Sear, journaliste/animateur, Get Busy/Clique TV
L'avis du pro :
La Fouine, seul rappeur à avoir été à la fois jury de Popstars, chroniqueur de Touche pas à mon poste, et auteur d'une web-série sur sa vie (71 épisodes tout de même)
Celui qui est allé trop loin :
Sofiane qui est partout, tout le temps, sans jamais perdre sa crédibilité et qui contre toute attente est devenu l'ambassadeur du rap français
Celui qui l 'a mieux compris :
Moha La Squale s'affichant pour Lacoste ; Lomepal tournant une vidéo avec Apple ; Kaaris/Nekfeu jouant dans un film avec Jean-Claude Vandamme/Catherine Deneuve ; Alkpote en duo avec Philippe Katerine ; Sofiane au théâtre ; Sadek dans une émission culinaire... Qu'ont-ils en commun ? Un besoin vital de sortir du rap. C'est compréhensible.
À force d'évoluer dans le même microcosme, on finit par tourner en rond et ne plus intéresser personne. Pour sortir du lot, il faut que vous soyez une marque, une entreprise, une putain de calculette. Mais ce n'est pas un problème pour le rap, frappé du réalisme capitaliste depuis ses débuts. Sans parler de l'importance de son entourage donc, il faut aller pointer son museau dans des domaines extra-musicaux et identifier tous les segments de marché possibles. Le groupe Columbine a choisi par exemple de concevoir une gamme entière de merchandising à son effigie, Mokobé du 113 a fondé un restaurant mêlant Tacos et Milkshake, Kalash Criminel a créé un parfum, Fianso a monté son studio, Damso un orphelinat, Alkpote a sa bande-dessinée, Seth Gueko son bar... Peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse, l'ivresse de l'omniprésence à l'heure de l'instantanéité.
Internet, tu maîtriseras
1
Ton entourage, tu soigneras
2
Le clash, tu éviteras
3
Vrai, tu parleras
4
Le soutien de Booba, tu obtiendras
5
Sur l'actualité, tu surferas
6
Avec la chanson, tu te réconcilieras
7
Les chiffres, tu surveilleras
8
Sur scène, tu régneras
9
Les barrières, tu détruiras
10
A
lors comme ça on veut réussir dans le rap ? Ok, vous
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